Le Développement du Sein, part IV

Le Développement du Sein, part IV

Le développement infantile:

Traduit de l’anglais par Stéphanie Fischer

Notes et illustrations disponibles sur l’article d’origine: http://link.springer.com/article/10.1023/A:1026487120779

Tout comme chez le fœtus, de la naissance à la puberté, on n’observe pas de différences morphologiques dans le développement des seins que ce soit chez les garçons ou les filles. De même, il existe des différences notables dans le degré de développement de la glande (formation des branches et des acini), ainsi que dans la différentiation fonctionnelle des cellules qui longent les canaux et les acini. Dans une étude portant sur 72 échantillons de seins en développement chez l’enfant, on a décidé que la meilleure méthode pour décrire ces variations diverses était de proposer une classification simple, représentant le type morphologique et le stade fonctionnel (voir table 1). De nombreuses combinaisons de types et d’étapes de développement ont été observées, et la complexité de la glande en termes de réseaux et de formation des acini n’a pu être directement mise en relation avec la capacité de sécrétion de l’épithélium voisin. A la naissance, le système canulaire s’ouvre vers la surface à travers la fente mammaire, une petite dépression à la surface de la peau. Le mésenchyme sous-jacent prolifère, pour former un rebord du mamelon. La peau qui entoure le mamelon se développe également pour former l’aréole. Quelques poils peuvent être observés à la périphérie de l’aréole.

Des analyses complètes à la naissance démontrent la diversité de degrés de développement en présence, qui peuvent aller de simples structures tubulaires aux bords arrondis à des réseaux bien développés ainsi que des acini (comparer avec Fig2B, C). Le sein chez l’enfant est en mesure de répondre aux stimuli sécrétoires des hormones maternelles (20, 53), et la production de lait dans 80 à 90% des cas chez les deux sexes est due aux effets de la prolactine lors de la chute des stéroïdes sexuels (16). cela est vrai, que les acini soient présents ou non. Ainsi, certains seins présentent des canaux dilatés par les sécrétions ( Fig. 2A), alors que chez d’autres, les acini sont sécrétoires grâce à la production de caséine, et un stroma spécifique est observé autour des acini (Fig. 2D). Dans ces cas, lorsque le sein présente un réseau de branches et d’acini bien développé, il est possible de voir le développement d’un stroma inter- et intralobulaire spécifique (voir Fig. 4A-C pour une comparaison avec le schéma adulte). Ces deux populations de fibroblastes diffèrent dans leur synthèse du collagène de type IV (54), et le fibroblaste intralobulaire engendre des tumeurs stromales spécifiques du sein (55). C’est une différence majeure d’avec le rongeur, chez qui l’épithélium n’est pas enveloppé dans un stroma fibroblastique spécifique, mais est principalement entouré de graisse. La peptidase dipeptidyle peptidase IV des cellules de surface (DPP IV) est exprimée spécifiquement par les fibroblastes interlobulaires chez l’adulte (55), alors que l’aminopeptidase N est produite par les deux types de fibroblastes (56). Dans la Fig. 2E, les développements des stromas inter et intralobulaires sont clairement délimités par l’expression de DPP IV. L’hématopoïèse extra-médullaire est présente dans le stroma (Fig. 2F). Ce stroma spécialisé diffère de plusieurs manières. Les fibroblastes interlobulaires se distinguent des fibroblastes intralobulaires par l’expression de TGF α (Fig. 2G). Chez le nouveau-né, les extrémités des canaux tubulaires et les structures périphériques des acini ont un aspect massif qui rappelle les extrémités des bourgeons des glandes chez les rongeurs. Ces structures en bourgeons possèdent un fort taux de prolifération (Fig. 2H)et un niveau peu élevé d’expression des intégrines α6 et β1 (57). Des cellules en forme de dôme comme celles qu’on trouve chez les rongeurs n’ont pas été identifiées.

Dans une revue récente, Bartow a décrit des récepteurs de l’expression d’œstrogène dans les tissus mammaires infantiles, pubères et chez l’adulte en âge de procréer à partir d’échantillons prélevé lors d’autopsies, en indiquant que cette source de matériel pourrait apporter des informations importantes dans l’avenir (59). Keeling et al. (58) ont récemment décrit la distribution à la fois des récepteurs d’œstrogène et de progestérone dans des tissus fœtaux, infantiles et pré-pubères, et ils en ont conclu que le récepteur d’œstrogène est présent dans l’épithélium à partir du troisième trimestre de la grossesse, et que le récepteur de la progestérone apparaît entre le terme et les 2 à 3 mois après la naissance. Il est aussi notable que le récepteur d’œstrogène est également présent dans les cellules stromales autour des zones d’hématopoïèse extra-médullaire.

Durant les deux premières années de vie, la paroi épithéliale se différencie et se développe de manière séquentielle (48). Le sein chez le jeune enfant semble involuer lorsqu’il n’est plus soumis à l’influence des hormones maternelles. Les changements qui arrivent incluent des changements apocrines et kystiques très semblables à ceux que l’on peut observer chez la femme ménopausée. A l’âge de 2 ans, tout ce qui subsiste sont de petites structures canulaires dans un stroma fibroblastique. Dans les quelques échantillons examinés, le sein reste dans cet état chez les deux sexes jusqu’à la puberté.

Le Développement du Sein chez la Femme (III)

Le Développement du Sein chez la Femme (III)

Les étapes du Développement du Sein chez la Femme

Le Développement Prénatal

La formation du sein est un moment-clé de la morphogenèse. On a même émis l’hypothèse que les premiers éléments de la carcinogénèse du sein pourraient avoir eu lieu in utero, ainsi que dans les premières étapes du développement post-natal (35-37). Le développement prénatal du sein a été décrit de manière exhaustive, mais ces descriptions classiques dans l’ancienne littérature européenne (38-42), accompagnée de dessins représentant les différentes étapes, comportent de nombreuses incohérences. Le principal problème que nous avons rencontré est que ces « étapes » du développement ne suivent pas l’âge du fœtus ou du jeune enfant. Il est intéressant de noter que la meilleure étude du développement mammaire fœtal était basée sur la grandeur de l’embryon (17). Dans ces études, Hugues fut capable de suivre une progression claire chez 70 embryons humains. Il est difficile de corréler des données historiques basées sur les mesures d’embryons avec des données plus récentes qui indiqueraient que les femmes de milieux économiquement défavorisés présentent des poids de naissance inférieurs et une incidence décroissante de cancer du sein. Un régime pauvre en protéines chez le rongeur est connu comme affectant le développement mammaire du nouveau-né (43).

Une bande mammaire a été décrite chez un embryon de 15 mm par Schulz en 1892, et s présence a été confirmée par d’autres observateurs. Cependant, la pertinence de la présence de cette bande est remise en question dans la mesure où on peut aussi la trouver chez les reptiles et les oiseaux. Une crête épithéliale ou « ligne de lait » a été mise en évidence chez des embryons de 15mm, s’étendant le long de la limite latérale du tronc. Chez les animaux comme les cochons et les chats, qui possèdent des rangs de mamelons, cette crête se segmente et est réduite à une série de mamelons. Aucune segmentation n’a été décrite chez l’être humain, et il n’y a aucune preuve réelle que les mamelons proviennent de cette crête.

Il est difficile de confirmer les différentes hypothèses reliant la bande mammaire, la crête mammaire ou la ligne de lait avec la formation des seins ou la mise en place du mamelon. Cependant, le fait qu’on puisse trouver des mamelons surnuméraires des aisselles jusqu’à l’aine vient étayer le concept d’une ligne du lait ou d’une crête (22). Quelques uns de nos échantillons montrent clairement un épaississement qui s’étend le long de l’embryon, dans lequel une concentration de cellules épithéliales est apparue dans la région thoracique/pectorale, là où les bourgeons mammaires se forment (Fig. 1A). Selon Hugues, le primordium du mamelon peut être observé chez des embryons de 7.0 à 8.0 mm, sous la forme d’une fine collection de cellules ectodermes, qui, à 10mm, possède une seule couche de cellules mésenchymateuses. De 11.0 à 14.0 mm, on a observé que le mésenchyme se différencie, sous le primordium du mamelon, en quatre couches (17). A 14.0 mm, le mamelon s’est déplacé d’une position relativement dorsale jusqu’à une position ventrale, et l’épithélium a proliféré afin de former un nodule qui pousse à l’intérieur du mésenchyme. Le développement de ce nodule continue alors afin de former le bourgeon mammaire. Le bourgeon est entièrement enveloppé dans le mésenchyme et on retrouve une indentation à la surface (Fig.1B). La couche cellulaire de base est grande et comporte des vésicules, le noyau est déplacé de manière atypique (ce qu’on ne peut discerner à ce niveau de grossissement). Le mésenchyme est étroitement appliqué au niveau inférieur de la membrane du bourgeon, et les cellules mésenchymateuses plus profondes forment une concentration plus importante autour du bourgeon (44, 45). Un schéma typique de vaisseaux sanguins peut être observé autour de l’implantation mammaire (Fig. 1C). Chez tous les échantillons fœtaux examinés, nous avons observé une inhibition du follicule pileux/ de la formation de racines dans le voisinage immédiat de l’implantation mammaire. Cette région de racines pileuses semble lier à la polarité des tissus, et on retrouve ces fixations à intervalles réguliers, sauf au niveau de la racine mammaire (Fig. 1C). On sait que les organes embryonnaires des autres systèmes produisent des inhibiteurs (46), et le schéma des implantations pileuses autour de la racine mammaire suggère une inhibition latérale.

Contrairement au développement des rongeurs, chez qui la testostérone provoque la destruction des bourgeons mammaires par la concentration du mésenchyme autour de l’encolure de la glande en E14 (47-49), les glandes mâles et femelles se développent de la même manière in utéro (aucune donnée). Il n’existe pas de différence entre les bourgeons mammaires mâles et femelles en ce qui concerne les cellules épithéliales ou le mésenchyme. Turner a montré que les bourgeons mammaires mâles chez les bovins sont de forme plus sphériques et plus grands que chez les bourgeons mammaires femelles, qui sont plus allongés (50,51). Nous n’avons observé aucune différence de forme selon le sexe en ce qui concerne les bourgeons mammaires humains.

Des hypothèses ont été émises selon lesquelles le sein est en fait une glande apocrine modifiée, ou bien une glande sébacée, ou encore une glande exocrine, mais nous n’avons trouvé aucune preuve pour soutenir cette idée (31). Le bourgeon se transforme à partir de la structure solide observée en Fig. 1B. Le premier signe que nous avons identifié sur l’ensemble du renflement est une petite fente au centre (Fig.1C). Différents plans de coupe du même bourgeon donneront des vues variables, comme on pouvait s’en douter à partir des aspects du renflement à travers le périderme (Fig. 1F, H). A mesure que la fente s’approfondit à la surface du bourgeon (Fig. 1E, G), celui-ci commence à se diviser en branches (Fig. 1F, H). Des bourgeons secondaires apparaissent alors que le lumen du bourgeon s’agrandit, et un changement de forme du bourgeon apparaît, sous la forme d’une structure en trèfle. Les bourgeons secondaires s’allongent, on voit apparaître des canaux, et des branches. La morphogenèse des canaux a lieu alors que les germes s’allongent et envahissent les tissues mésenchymateux. Des études de l’expression des facteurs de croissance et des protéines des matrices extracellulaires au début du développement du sein humain suggèrent que ces protéines ont un rôle dans la différentiation, la croissance, et la morphogenèse. Au stade du bourgeon (18 semaines), les cellules mammaires primordiales sont bien délimitées en tant que population discrète, qu’on peut voir par leur coloration négative à la kératine 14 (Fig. D), et par la présence d’actine liée aux muscles lisses (pas d’illustration), en comparaison avec la couche de base du périderme adjacent (33). Vers 28 semaines, les cellules de base du développement mammaire sont positives aux deux marqueurs des cellules de base typiques, à savoir la kératine 14 et les muscles lisses (33). Au même moment (28 semaines), on observe une importante expression des récepteurs du facteur de croissance de l’épiderme et du TGFα dans ces cellules, ce qui suggère une stimulation autocrine induisant cette prolifération. Des taux importants de BCL-2 sont observés dès 18 semaines (Fig.1E) ; cette molécule préviendrait l’apoptose et permettrait l’expansion de cette population cellulaire (52). Il y a une sur-expression de BCL-2 dans les cellules stromales adjacentes au bourgeon à ce stade (cela n’est pas visible sur cette coupe ; voir réf 52), ce qui suggère que ces cellules sont également protégées de l’apoptose, ce qui permet leur expansion en tant que futurs fibroblastes mammaires spécifiques (52). On ne dispose que de très peu d’informations dans la littérature concernant la distribution des molécules des matrices extracellulaires pendant le développement du sein. Le TGFβ est exprimé dans la matrice extracellulaire à tous les stades observés ; la tenascine et le collagène de type IV sont concentrés dans la matrice extracellulaire à l’encolure des bourgeons en développement (31). Ces distributions sont toutes cohérentes avec les rôles supposés de ces molécules dans la morphogenèse de d’autres tissus (31).

Insuffisance Lactationnelle : Une Approche Rationnelle (article complet)

Insuffisance Lactationnelle : Une Approche Rationnelle (article complet)

Insuffisance Lactationnelle : Une Approche Rationnelle

Traduit de l’anglais par Stéphanie Fischer

Commentaire de la traductrice: c’est un article qui date (1987!!), et qui par certains aspects, est justement un peu daté. Mais sur l’essentiel, et notamment sur la nécessité de mieux identifier et prendre en charge les difficultés lactationnelles présentées, il reste un article de référence. c’est pourquoi j’ai choisi de le traduire et de le publier ici, même si il a presque 30 ans et que de nombreuses découvertes sur la lactation ont été réalisées depuis.

Auteures : Marianne R. Neifert, MD, FAAP, et Joy M Seacat, CHA, MS

Résumé :

De nombreux facteurs maternels peuvent être impliqués dans une lactation défaillante, y compris la chirurgie mammaire, qui endommage les canaux lactifères et l’innervation des mamelons, un tissu glandulaire insuffisant, une grossesse pendant l’allaitement, et certaines maladies maternelles graves. Les bébés qui ont un défaut de succion, tels que les prématurés, les multiples de faible poids de naissance, les bébés « qui se nourrissent d’amour et d’eau fraîche » et ne réclament jamais, ou bien les bébés ayant des malformations orales peuvent également avoir un impact négatif sur la lactation, à cause d’une succion inefficace. La promotion trop enthousiaste d’un allaitement totalement exclusif dans de telles situations peut mener à un grave retard de croissance chez l’enfant. Des exemples de cas sont cités pour guider le professionnel de santé dans la distinction entre des insuffisances lactationnelles primaires, ou dont les étiologies ne sont pas traitables, de difficultés plus communes dues à des erreurs dans la gestion de l’allaitement maternel. Lorsque la lactation complète n’est pas possible, la relation d’allaitement peut toujours être préservée malgré le fait qu’une supplémentation de préparation lactée pour nourrisson soit nécessaire.

(BIRTH, 14:4, Décembre 1987)

Pour la première fois depuis des décennies, la majorité des femmes américaines souhaitent allaiter. Le Ministère de la Santé s’est fixé pour objectif de santé national un taux de 75% de bébés allaités à la naissance pour 1990. Replacer l’allaitement maternel en tant que « norme commune » fut l’un des objectifs primordiaux discutés à la Rencontre Nationale sur l’Allaitement Maternel et la Lactation Humaine du Ministère de la Santé en 1984.

Parmi les efforts pour promouvoir l’allaitement, on fait peu de cas du fait que toutes les femmes ne peuvent pas forcément parvenir à une lactation complète, ni que tous les bébés ne sont pas toujours capables de téter efficacement. On perpétue le mythe que l’allaitement est toujours possible, qu’il doit toujours réussir – du moment que la mère fait ce qu’il faut, reçoit suffisamment de soutien, se repose assez, boit suffisamment de liquides, et applique correctement les techniques de base de l’allaitement-, ce qui a contribué à l’augmentation des cas de retards de croissance chez des bébés allaités, et a créé des sentiments de culpabilité et de déception chez les femmes qui rencontrent une insuffisance lactationnelle pour des raisons physiologiques.

Le défi actuel est d’équilibrer l’enthousiasme pour l’allaitement maternel et la prise de conscience face aux preuves de plus en plus nombreuses qu’il existe des facteurs primaires et secondaires, anatomiques et hormonaux, qui peuvent impacter la lactation. Nous devons absolument soutenir l’allaitement exclusif lorsqu’il est possible, mais nous devons également savoir reconnaître les facteurs maternels et infantiles liés à une lactation compromise. L’identification de ces facteurs doit nous permettre de réduire les risques de retard de croissance chez les bébés allaités, et d’éviter de jeter l’opprobre sur des mères porteuses d’une incapacité physiologique pour un allaitement exclusif.

Notre expérience en tant que directrices d’une clinique de référence en matière de lactation nous a révélé un nombre alarmant de situations cliniques dans lesquelles des attentes irréalistes concernant la lactation potentielle ont pu compromettre le bien-être de l’enfant. Dans de nombreux cas, la supplémentation en préparation lactée pour nourrisson a été retardée, à cause de la croyance erronée que toutes les femmes peuvent produire suffisamment de lait, quelle que soit leur situation. En outre, les facteurs de risques classiques n’ont pas été identifiés par les professionnels de santé, comme nous le verrons dans les exemples ci-dessous :

– Des femmes ayant subi une chirurgie mammaire ont reçu la confirmation qu’elles pourraient parvenir à une lactation complète, tout comme des femmes qui présentaient des seins d’apparence anormale.

– Des nouveau-nés n’ayant pas eu de selles durant une semaine ont été traités par téléphone, pour une soi-disant « constipation », et ont reçu du sirop Karo (un sirop à base de maïs pour la constipation) et de l’eau.

– Des bébés en sous-poids, irritables, affamés, ont reçu des médicaments pour les « coliques ».

  • Des enfants qui n’avaient pas repris leur poids de naissance à la visite des deux semaines ont eu un nouveau rendez-vous de contrôle… pour leur deux mois.

  • Des bébés qui n’ont jamais pris le sein correctement sont sortis de la maternité avec une recommandation « d’allaitement à la demande ».

  • Des mères de bébés prématurés, dont la lactation équivalait à une fraction des besoins quotidiens de leur bébé, sont sorties de la maternité avec un « allaitez à la demande ».

  • Des bébés qui n’ont jamais pris de poids avant l’introduction d’un supplément se sont vus retirer subitement ce supplément.

  • Des bébés avec une malformation orale n’ont pas suivi plus étroitement que des enfants en bonne santé.

  • Des mères dont les bébés n’avaient pas repris leur poids de naissance à six semaines se sont vues dire de « se mettre au lit avec leur bébé et d’allaiter durant 24h ».

  • Des mères adoptives ont cherché à induire une lactation « pour apporter les bénéfices nutritionnels du lait maternel ».

La discussion qui suit aborde quelques uns ds facteurs maternels et infantiles qui peuvent compromettre l’allaitement. Ces circonstances particulières exigent des plans réalistes afin d’assurer le bien-être du bébé tout en soutenant la mère dans son allaitement.

Facteurs Maternels

Augmentation mammaire

Des milliers de femmes subissent chaque année une chirurgie mammaire pour augmenter leur poitrine afin d’améliorer leur image d’elles-mêmes, et il est généralement admis que ces procédures d’augmentation mammaire n’interfèrent pas avec une lactation réussie. Bien que de nombreuses femmes aient allaité avec succès après une telle intervention, on manque de données scientifiques pour soutenir la généralisation faite pas certains, qui voudrait que ce soit le cas pour toutes les femmes.

Des dommages causés par inadvertance au nerf du complexe mamelon-aréole (NAC), dommages suggérés par des sensations altérées au niveau du mamelon en post-opératoire, peuvent impacter de manière conséquente les réflexes neuro-huméraux impliqués dans une lactation normale.

Les incisions péri-aréolaires peuvent toucher les canaux, et ainsi affecter le drainage du lait. En outre, l’apparence première des seins devrait être prise en compte. Par exemple, une insuffisance lactationnelle chez une femme primipare pourrait être due à l’hypoplasie mammaire en premier lieu, plutôt qu’à la chirurgie augmentative.

D’autre part, nous avons examiné plusieurs femmes avec une insuffisance lactationnelle après une chirurgie mammaire, alors qu’elles avaient allaité avec succès auparavant. Ces femmes avaient les seins incomplètement vidés, et présentaient une réponse émoussée à la prolactine pour allaiter. Les taux de prolactine de base et ceux mesurés après la tétée chez ces femmes durant les premières semaines post-partum suggéraient une détérioration de l’arc réflexe neuro-huméral. L’utilisation précoce d’ocytocine en spay nasal a pu faciliter le réflexe d’éjection dans de tels cas.

Des études prospectives sont à faire pour évaluer systématiquement les performances de lactation parmi les femmes qui ont allaité avec succès avant de subir une chirurgie plastique d’augmentation mammaire.

Réduction Mammaire

L’hypertrophie mammaire peut provoquer des complexes, un mal de dos chronique, des difficultés à trouver des vêtements adaptés, et peut restreindre l’activité des femmes qui en souffrent. La mammoplastie réductive implique souvent l’auto-transplantation du mamelon (qui doit être recentré), ce qui implique de couper l’innervation du complexe mamelon-aréole, de sectionner les canaux lactifères là où ils pénètrent dans le mamelon, et d’empêcher ainsi un bon drainage du lait. Tyson a recueilli les taux de prolactine de base et après la tétée le 7e et le 14e jour post-partum chez une femme ayant subi une mammoplastie réductive avec auto-transplantation du mamelon. Les succions répétées du bébé durant 15 minutes à chaque sein n’ont pas permis de faire monter les taux sériques de prolactine. Nous avons confirmé les découvertes de Tyson chez deux autres femmes examinées durant le premier mois post-partum.

Même si un allaitement partiel peut s’établir, nous n’avons jamais rencontré une femme capable d’allaiter exclusivement après une mammoplastie réductive avec auto-transplantation du mamelon. Les techniques qui laissent le mamelon intact sur un pédicule devraient être davantage prometteuses pour le potentiel lactationnel.

Biopsie

Bien qu’une biopsie du sein ne semble pas en mesure d’interférer avec l’allaitement, nous avons examiné une femme dont la biopsie, pratiquée à partir d’une incision péri-aréolaire, a causé d’importants dommages aux canaux, en empêchant l’expression du lait après l’accouchement. Le bébé n’obtenait que quelques millilitres de lait du sein opéré, et finalement, il a tété presque exclusivement sur un seul sein, du côté non touché.

Syndrome d’Insuffisance de Tissu Glandulaire (IGT)

Il y a plusieurs années, nous avons décrit le cas de trois femmes qui présentaient une insuffisance lactationnelle inexpliquée, malgré le fait qu’elles allaitaient des bébés nés à terme, en bonne santé, selon une gestion de l’allaitement adaptée, avec de bonnes techniques. Aucun des bébés n’a pris de poids jusqu’à ce que des suppléments de préparation lactée pour nourrisson soient donnés.

Chacune de ces femmes a fait état de très faibles modifications de la poitrine pendant la grossesse, et d’un engorgement du post-partum minimal. Le taux sérique maternel de prolactine a permis d’écarter une déficience en prolactine. On a pu observer une apparence externe anormale de la poitrine (asymétrie marquée) chez chacune.

En outre, le microscope à balayage a mis en évidence un tissu glandulaire moindre. Le postulat d’un syndrome d’insuffisance lactationnelle primaire due à une insuffisance de tissu glandulaire a été émis.

Après la première étude, 14 nouveaux cas ont été identifiés. 11 des 17 femmes multipares examinées avaient fait l’expérience d’une insuffisance lactationnelle pour chacun de leurs autres enfants. Quatorze femmes sur 16 ont rapporté n’avoir constaté aucune augmentation ou presque de leur poitrine pendant la période prénatale, et 15 ont fait état d’un engorgement minimal post-partum. Dix sur 16 femmes dont les seins ont été examinés présentaient une asymétrie marquée de la taille des seins. Sept avaient des zones irrégulières remplies avant la tétée, quatre présentaient des mamelons d’une largeur disproportionnée, et une avait des seins tubulaires.

Chacune d’entre elles a exprimé un grand soulagement lorsqu’il lui a été expliqué que son insuffisance lactationnelle était primaire, et n’avait rien à voir avec une mauvaise technique ou un manque d’effort de sa part. Une large étude prospective est en cours pour déterminer l’incidence de l’insuffisance de tissu glandulaire (IGT), et pour établir la valeur prédictive des critères cliniques.

Allaitement et Adoption

Quelques comptes rendus existent de manière anecdotique concernant la lactation induite et la relactation, telles qu’une grand-mère qui a initié une relactation pour nourrir un bébé dont la mère est décédée à la naissance, ou chez des femmes nullipares pour allaiter un enfant adopté. Ces rapports ne contiennent cependant aucune donnée sur le rendement lacté, et aucune étude scientifique sur la lactation induite n’a pu être mise au jour. Un nombre grandissant de mères adoptives se renseignent sur la lactation induite, souvent dans l’attente irréaliste d’être à même d’obtenir une production lactée significative pour nourrir l’enfant. Bien que de tels comptes rendus continuent de paraître, aucun protocole médicamenteux n’a fait ses preuves scientifiquement pour induire une lactation réussie sans qu’il y ait eu grossesse.

Il est important, lorsqu’on s’adresse aux femmes qui souhaitent induire une lactation, de leur fournir des informations cohérentes et réalistes en matière de production lactée, qui sera de manière fort prédictible plus importante chez les femmes qui ont déjà allaité que chez celles qui n’ont jamais été enceintes. Selon notre expérience, la probabilité de parvenir à mettre en place une lactation significative est vraiment mince, et des attentes irréalistes en matière de rendement lacté peuvent amener certaines femmes à se sentir extrêmement déçues, voire à avoir l’impression qu’elle sont échoué. Pourtant, il reste certain qu’une femme peut vivre l’intimité d’une relation d’allaitement avec son enfant, quelque soit le volume de lait produit ou la quantité de supplémentation nécessaire.

Maladie maternelle et Traitement médicamenteux

De manière très rare, une maladie chez la mère et un traitement médicamenteux impose une contre-indication absolue à l’allaitement maternel. Un sevrage brutal est recommandé lorsqu’il y a présence avérée d’une tumeur maligne du sein, par exemple.

Un sevrage temporaire peut être nécessaire après des examens nécessitant l’utilisation de produits de contraste radioactifs, et le sevrage définitif est requis lors d’un traitement au long cours de chimiothérapie.

Occasionnellement, la lactogénèse ne se met pas en place chez une femme dont le post-partum est compliqué par une infection sévère ou par une hémorragie massive. Dans d’autres circonstances, une maladie chronique, telle que la fibrose kystique, peut être exacerbée par l’allaitement. Il est alors inapproprié pour les professionnels de santé de mettre le bien-être de la mère ou de l’enfant en danger, quels que soient les bienfaits attendus de l’allaitement. Le professionnel de santé doit mettre à contribution sa sensibilité pour aider la mère à faire le deuil de son allaitement du fait de circonstances indépendantes de sa volonté.

Grossesse pendant l’Allaitement

Nous avons pu constaté dans notre pratique professionnelle qu’une grossesse diminue de manière drastique la lactation et entraîne des modifications dans la composition du lait, qui devient davantage une sécrétion proche du colostrum.

Une chute soudaine et inexpliquée de la lactation chez une femme qui produisait du lait de manière adéquate doit faire penser à la possibilité d’une nouvelle conception. Dans ce cas, il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’un bébé allaité exclusivement jusque là puisse continuer à obtenir suffisamment de lait, quelle que soit la fréquence des tétées.

Facteurs Infantiles

La plupart des facteurs liés au bébé qui impactent négativement l’allaitement ont en commun un stimulus de succion inadéquate durant les premières semaines du post-partum. Que l’enfant soit prématuré, malade, ou trop calme ; qu’il ait une malformation de naissance, un problème primaire de succion, ou un trouble neurologique ; ou simplement, qu’il s’agisse d’une confusion sein-tétine, l’involution rapide de la production lactée maternelle va se produire si les seins ne sont pas vidés regulièrement et de manière efficace. La mise en route de la lactogénèse, c’est-à-dire une production lactée copieuse entre J+2 et J+4 post-partum, est un point crucial dans la mise en place d’une lactation adaptée. Souvenons-nous que les mères qui donnent le biberon voient leur lactation se tarir en quelques jours après la montée de lait. Les glandes alvéolaires sécrétrices s’atrophient rapidement lorsque la pression n’est pas relâchée et en l’absence d’une stimulation régulière par la succion du bébé, ce qui entraîne une montée du taux de prolactine sérique. La lactation ne peut être maintenue que par une vidange fréquente du sein et par les pics de prolactine qui y sont liés.

Lorsque la succion de l’enfant est inadéquate, irrégulière, ou inefficace d’une quelconque façon, la production lactée maternelle va être compromise, et cela de manière éventuellement irrévocable. Si la détection et l’amélioration d’une succion faible durant les premiers jours après la naissance permettent généralement d’améliorer la production lactée, le plus longtemps on attend avant de traiter ces problèmes, le moins il y aura de chances de parvenir à restaurer complètement la production lactée.

Nous utilisons en routine la balance électronique Sartorius, reliée à un ordinateur ( précise à 0,1g), ce qui nous a permis de nous documenter sur les volumes ingérés par les bébés pendant l’allaitement, et d’enregistrer les observations suivantes de manière sûre.

Les bébés qui se Nourrissent « d’amour et d’eau fraîche »

Une cause fréquente et précoce de lactation insuffisante est l’incapacité du bébé à réclamer à téter selon un schéma approprié.

Le concept de l’offre et de la demande peut être mal interprété par de jeunes mères qui pensent que leur bébé sage, qui ne réclame pas, qui dort six heures d’affilée entre les tétées, obtient tout à fait suffisamment à manger. Il est important d’informer les jeunes mères des limites à l’allaitement à la demande. Elles doivent être prévenues qu’elles devront nourrir leur bébé au sein au moins huit fois par jour durant les premières semaines, ce qui veut dire toutes les deux ou trois heures, avec un unique intervalle de cinq ou six heures la nuit. L’expression « à la demande » doit permettre aux mères de nourrir leur bébé affamé plus souvent que ce qui serait attendu, et non pas moins souvent.

Gestation de Multiples

Bien qu’il soit tout à fait possible d’allaiter des jumeaux, et même des triplets, on ne rend pas service aux mères lorsque nous sous-entendons que c’est simple, ou même « pratique ». Les mères qui allaitent exclusivement des jumeaux donnent le sein en moyenne 15 fois par 24 heures, durant les 6 mois post-partum. Si l’un des deux bébés ne tête pas asez vigoureusement, la mère devra aussi stimuler sa poitrine, de préférence en utilisant un tire-lait électrique à pistons avec un système de double recueil. Une erreur commune dans la gestion de l’allaitement de jumeaux est de s’imaginer que des bébés de petits poids, ou prématurés, ou qui ne téteraient pas de manière vigoureuse, puissent stimuler efficacement une production lactée adéquate par eux-mêmes.

Problèmes Médicaux, Neurologiques, ou Anatomiques

Tout bébé qui présente un problème chronique qui interfère avec l’allaitement devrait être considéré comme inapte à téter efficacement jusqu’à ce que le contraire ait été établi. La mère devrait augmenter sa production en exprimant son lait au tire-lait électrique à pistons après la tétée, pour assurer une production lactée généreuse, particulièrement durant les deux premières semaines post-partum. Il vaut mieux établir une lactation trop abondante, car plus la production sera haute, plus le bébé pourra obtenir facilement du lait au sein. Ce n’est que lorsqu’on sera sûrs que le bébé peut effectivement téter correctement et prend du poids au sein exclusivement que l’expression au tire-lait pourra être diminuée.

Prématurité

Lorsqu’un bébé naît prématurément, la mère peut établir et maintenir sa lactation en exprimant son lait régulièrement, de préférence avec un tire-lait électrique à pistons et un système de recueil double. Quand le bébé est assez fort pour téter et avaler de manière coordonnée, le bébé peut être mis au sein, et on peut éventuellement lui apprendre à téter. De manière générale, les mères pensent, à tort, qu’elles pourront rendre le tire-lait lorsque le bébé sort de l’hôpital pour rentrer à la maison. En réalité, peu de bébés prématurés sont en mesure de téter aussi efficacement qu’un tire-lait électrique à leur sortie de l’hôpital. Ainsi, les mères devraient être informées qu’elles devront continuer à exprimer leur lait jusqu’à ce qu’il soit évident que le bébé vide les seins par lui-même et prend du poids de manière adéquate en étant allaiter exclusivement. Notre pratique nous a permis d’observer que plus la production lactée de la mère est généreuse, plus son réflexe d’éjection sera efficace, et plus son bébé obtiendra facilement du lait.

Nous savons que de nombreuses mères ont vu leur lactation chuter drastiquement en une semaine après le retour à domicile de leur bébé et la diminution des séances d’expression.

Supplémenter le Bébé Allaité

Lorsqu’un bébé allaité a besoin d’une supplémentation de préparation lactée pour nourrisson pour grandir correctement, on proposera des quantités de lait en poudre sans restriction, afin que le bébé prenne du poids immédiatement et rapidement, ce qui permettra d’éliminer toute pathologie infantile sous-jacente.

D’après notre expérience, les suppléments donnés avec restrictions à partir d’estimations subjectives du lait maternel obtenu se sont avérés notoirement inefficaces, et cela fait perdre un temps précieux pour restaurer le bien-être du bébé.

Avec des suppléments ad lib, l’enfant peut rattraper jusqu’à 60 grammes par jour ou plus de prise de poids.

La mère allaitante devrait se voir offrir la possibilité d’utiliser le SNS (Système de Supplémentation Nutritionnelle, ou DAL, Dispositif d’Aide à la Lactation) pour donner le lait artificiel en même temps qu’elle allaite. Avec le DAL, le nourrissage au biberon peut être réduit, et le bébé peut « s’entraîner » à téter plus efficacement, aidé en cela par le flux continu de lait artificiel. Comme le bébé tète toujours au sein, la lactation a plus de chance d’augmenter que si l’enfant reçoit régulièrement des biberons. Si l’enfant se fatigue facilement, cependant, la durée des tétées devra être écourtée à 5 minutes par sein à chaque fois, suivie d’un biberon de complément.

Le DAL nécessite qu’on montre avec soin à la mère comment l’utiliser, il faudra se montrer patient les premiers jours pendant que la mère et le bébé s’y habituent, et le dispositif devra être nettoyé avec soin après chaque tétée.

De nombreuses mères trouvent que ce système est idéal pour nourrir un bébé sous-alimenté sans compromettre leurs efforts pour poursuivre l’allaitement maternel. L’utilisation du DAL fait partie intégrante de notre manière de gérer de nombreuses difficultés d’allaitement.

Études de Cas

Patient n°1

Une femme primipare de 24 ans a donné naissance à un petit garçon de 2.600 gr à 37 semaines de gestation. La mère et le bébé sont sortis de la maternité à J+3 post-partum, le bébé était noté comme tétant bien. Le poids de sortie était de 2.500gr. Lors de la visite des 10 jours, cependant, le bébé pesait 2.400 gr. Il urinait après chaque tétait, mais n’avait émis que deux selles depuis son retour à la maison. Il tétait toutes les 4 heures, 15 minutes sur le premier sein, puis il s’endormait sur le second. Il dormait huit heures par nuit. La mère a évoqué un engorgement inconfortable du troisième eu sixième jour, mais ses seins étaient nettement plus souples depuis. Le bébé était éveillé et semblait en bonne santé durant l’examen.

Gestion :

Ce bébé prématuré pesait 200gr en dessous de son poids de naissance lorsqu’il a été envoyé vers le Programme de Lactation à J+10. Ses selles peut fréquentes étaient un autre indicateur du fait qu’il ne recevait pas suffisamment de lait. Les horaires de tétée étaient en cause, notamment avec un intervalle beaucoup trop long entre les tétées de nuit. Le bébé passait trop de temps sur le même sein, et tétait donc trop peu le second. Cette stimulation inadéquate de la poitrine de la mère avait entraîné une diminution graduelle de la lactation. Grâce à la détection relativement rapide du problème, et comme le bébé n’était pas en détresse, un essai pour mettre en place une organisation de tétées plus adaptée sur plusieurs jours a pu être tenté de manière sécure. La mère a reçu des instructions pour réveiller son bébé pour lui donner le sein toutes les 2 h ½, 3 heures en journée, avec un seul intervalle de cinq heures la nuit. On lui a recommandé de limiter le temps passé au premier sein à 10 minutes, puis de changer son bébé de sein avant qu’il ne se fatigue trop. Lors du rendez-vous de suivi trois jours plus tard, le bébé avait pris 60gr. Une semaine plus tard, il avait grossi de 270gr.

Patient n°2 :

Une mère de deux enfants a donné naissance à sa troisième, une petite fille de 3.500gr, née à terme, après une grossesse normale, un travail et un accouchement sans complication. Elle a démarré l’allaitement immédiatement après la naissance, et il a été noté que le bébé tétait bien. La mère et le bébé sont sorties de l’hôpital le lendemain. Lors du rendez-vous de contrôle des deux semaines, le bébé ne pesait que 3.000gr, elle avait un ictère modéré, et apparaissait mal nourrie et affamée. La mère a expliqué qu’elle avait allaité sa fille toutes les heures ou deux, 24h /24, durant les deux dernières semaines. La petite fille n’avait pas émis de selle de la semaine.

Durant l’historique, la mère a rapporté que ses deux premiers enfants n’avaient pas pris de poids non plus durant le temps où elle les avait allaités. Ses seins n’avaient pas pris de volume durant la grossesse, et elle n’avait ressenti qu’un engorgement minimal post-partum. À l’examen, elle présentait une asymétrie marquée des seins, et le bébé était visiblement affamée après la tétée aux deux seins, malgré une technique appropriée. La petite fille et sa mère ont été adressées au Programme de lactation.

Gestion :

L’historique de deux premiers enfants n’ayant pas pris de poids durant l’allaitement aurait dû orienter vers une visite plus précoce après la sortie de l’hôpital. La femme d ce cas présentait de nombreux critères d’une insuffisance lactationnelle primaire, compatible avec le syndrome d’insuffisance de tissu glandulaire (IGT). Elle a allaité un bébé né à terme en bonne santé fréquemment, 24h/24, et présentait tous les signaux d’une insuffisance de production lactée, et d’une malnutrition de l’enfant. Il n’y avait aucune raison de penser que des modifications dans la techniques d’allaitement ou dans la fréquence pourraient augmenter sa lactation, et l’état du bébé nécessitait qu’une supplémentation soit donnée sans délai.

Cette femme a choisi de supplémenter principalement avec le DAL, mais elle donnait également deux biberons par jour. Le bébé a pris 240gr en trois jours, avec en moyenne 480gr de lait artificiel par jour, et elle a commencé à émettre des selles régulièrement. La mère a allaité 10 mois, mais toujours avec supplémentation. Elle s’était sentie très coupable d’avoir échoué dans l’allaitement de ses deux premiers enfants, et elle a été grandement soulagée d’apprendre que son faible lactation était d’ordre primaire, et non pas due à sa technique d’allaitement ou à un manque d’effort de sa part.

Patient n°3 :

Une mère de 33 ans a donné naissance à son deuxième enfant, un garçon de 3.000gr né à terme, par césarienne pour cause de détresse foetale. Elle présentait des seins volumineux, tombants, avec des mamelons plats, mais elle avait allaité avec succès sa fille aînée, alors âgée de 3 ans. Le bébé était né dans la soirée, et il avait reçu des biberons à la nurserie dans la nuit. Il a été amené à sa mère le jour suivant, mais il n’est pas parvenu à prendre le mamelon en bouche. En dernier ressort, le bébé a été incité à téter avec une téterelle sur le mamelon de la mère. La mère utilisait toujours la téterelle d’allaitement au moment de la sortie de l’hôpital à J+4 post-partum. Le bébé pesait 2.820gr à sa sortie. Lorsqu’il a été vu par le pédiatre à J+12, il pesait 2.700gr. Une semaine plus tard, à 19 jours, il n’avait toujours pas réussi à prendre directement le mamelon de sa mère et pesait alors 2.600gr. Il n’émettait que des petites selles vertes tous les quelques jours.

Gestion :

Le potentiel de lactaiton de cette femme avait été établi par son allaitement précédent réussi. Du fait de ses mamelons plats, il aurait été largement souhaitable de mettre le bébé au sein aussi tôt que possible après la naissance, en évitant qu’il ne reçoive des biberons avant qu’il ne soit capable de téter correctement. Une confusion sein-tétine non résolue durant le séjour hospitalier aurait dû être prise en compte et gérer grâce à l’utilisation d’un tire-lait électrique à pistons afin de maintenir la lactation et d’étirer les mamelons, ce qui aurait par la même permis d’obtenir le lait nécessaire qu’on aurait offert au bébé à la tasse, à la pipette, ou au biberon.

À 12 jours post-partum la lactation de la mère était sévèrement compromise, à cause de l’inefficacité du bébé à vider les seins, et sans doute d’une réponse émoussée à la prolactine à cause de la téterelle. Sans une intervention spécifique à ce moment précis, il n’y avait aucune raison que la situation s’améliore durant la semaine suivante. Le statut nutritionnel du bébé et la lactation maternelle ont donc été inutilement compromis plus avant.

Lorsque nous avons vue cette mère au Programme de Lactation à J+19, nous lui avons recommandé d’exprimer son lait avec un tire-lait électrique à pistons et un système de double collecte, toutes les trois heures, ainsi que de porter des coquilles d’allaitement afin d’aider ses mamelons à sortir davantage. Le bébé a été nourri au biberon ad lib, grâce au lait exprimé par sa mère et à du lait artificiel si besoin. Il a pris 240 gr durant les trois jours qui ont suivi, et la production lactée de la mère a commencé à augmenter de 30gr à 60gr toutes les trois heures. La semaine suivante, l’expression régulière au tire-lait électrique a permis que le volume de lait produit par la mère augmente jusqu’à couvrir les besoins du bébé au biberon, et cela a contribué à mieux former les mamelons de la mère. Grâce à un travail patient auprès du bébé plusieurs fois par jour, le mère a finalement réussi à lui apprendre à prendre le sein et à téter correctement. À l’âge de 6 semaines, il était allaité exclusivement.

Conclusion 

Dans la plupart des cas, des connaissances suffisantes et du soutien vont permettre à des femmes motivées d’allaiter avec succès. Cependant, certains facteurs maternels ou infantiles peuvent contribuer à une insuffisance lactationnelle, liée à un retard de croissance chez l’enfant.

Le défi des professionnels de santé est d’identifier les étiologies d’ordre primaire, auxquelles on ne peut remédier, de ces insuffisances lactationnelles, par rapport à des insuffisances secondaires dues à des problèmes de gestion de l’allaitement maternel, puis ils devront mettre en place les mesures de remédiation appropriées. L’objectif est de préserver la relation d’allaitement lorsqu’elle est désirée, et de parvenir à optimiser la lactation maternelle lorsque cela est possible, sans jamais mettre en danger le bien-être nutritionnel de l’enfant.

Pour les références, merci de consulter l’article complet en langue anglaise (BIRTH, 14:4, Décembre 1987)